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jeudi 8 novembre 2012

Les conséquences sociales et culturelles

Par webmaster- Publié le 26 juin 2009

 L’émigration a donné lieu à une nouvelle classe sociale, de type bourgeoise, avec des individus provenant des classes artisanales, anciens marins et petits agriculteurs. En France, ils supportaient de dures journées de travail, et quand ils revenaient à Sóller, ils voulaient faire ostentation de leurs richesses.

Un moyen de maintenir les liens avec Majorque fut le mariage des émigrants avec les jeunes filles de Sóller. La majorité des émigrants partaient très jeunes, vers 14-15 ans. De plus, les journées de travail dépassaient les 12 heures et ils n’avaient la le temps de courtiser. Une fois que les commis avaient assez d’argent pour s’établir à leur compte, la prochaine étape était le mariage, et ils entreprenaient des démarches pour se marier avec une jeune fille de Sóller puisqu’ils cherchaient une « madona » pour tenir le magasin et la maison. Les familles solleriques se méfiaient généralement des jeunes françaises ou américaines et ne les considéraient pas assez dévouées, n’ayant pas le sens du sacrifice assez développé.

Dans ce jeu matrimonial, l’abbé Josep Pastor Castanyer, connu comme le vicaire Fiquet, va jouer un rôle déterminant. Il a béni quelques 1671 mariages durant les premières décennies du XXème siècle, la majorité d’émigrants. Le procédé que suivait l’abbé était toujours le même, le prétendant ou sa famille écrivait une lettre au vicaire dans laquelle il demandait d’urgence un mariage rapide. L’abbé Pastor n’avait pas de difficulté pour trouver une candidate, l’émigration ayant fait diminuer l’offre de jeunes-hommes en âge de se marier, et il transmettait l’offre du prétendant. Si elle acceptait, le mariage se concrétisait en quelques semaines, et le fiancé ne voyait la future mariée que quelques jours avant l’union. Juste après la cérémonie, les jeunes mariés partaient vers la ville où ils avaient leur commerce.

Il s’introduit également des changements dans la manière de s’habiller, les hommes comme les femmes ont adopté la mode européenne et ont abandonné les vêtements traditionnels iliens.
Un des traits les plus caractéristiques de l’émigration a sans doute été l’assimilation de mots et de paroles issus des lieux où l’on a émigré, principalement de France. Le principal changement étant la prononciation du r et le son [i] au lieu de [ë]. Ainsi, se sont introduits de nombreux gallicismes dans la langue majorquine comme : arramassar (ramasser), banana (banane), beta-rave (betterave), bullota (bouillotte), bureu (bureau), carrota (carotte), cop de fil (coup de fil), cornixó (cornichon), enrumat (enrhumé), gara (gare), garçó (garçon), guixé (guichet), llunetes (lunettes), marchant (marchant), memé (grand-mère), pantufles (pantoufles), peixe (pêche), pepé (grand-père), retreta (retraite), tricot (tricot), valisa (valise), vianda (viande). Le français s’est converti de fait en la seconde langue de la localité.

L’offre éducative de cette langue s’est accentuée et il s’est crée un poste de professeur de français municipal. Maria Mayol fut professeur dans les années 20 à 30. En 1950 une section de l’Alliance Française s’installa à Sóller.


En ce qui concerne la littérature, le thème de la migration a inspiré plusieurs œuvres qui sont de bons exemples pour comprendre ce phénomène historique. A Sóller, on remarque le roman Elvira (Impresiones americanas) de Damià Ozonas (publié en 1923), et Islas (1976), les mémoires d’Esperança Mayol Alcover, fille d’émigrants. L’éducation et l’influence de la culture française ont fait qu’un grand nombre d’émigrants revenus à Sóller jouissent de bonnes bibliothèques. Le chercheur Antoni Vicens parle d’une bibliothèque imaginaire de l’émigration, avec les œuvres de Georges Bernanos (Journal d’un curé de campagne), Désiré Blanchet (Histoire de France), Victor Hugo (La légende des siècles), ou Jules Verne (Cinq semaines en ballon).

L’émigration a aussi été très liée à l’apparition et au développement de la presse locale. L’exemple le plus clair est celui de l’hebdomadaire Sóller , fondé en 1885 par Joan Marquès Arbona. La publication offrait divers aspects informatifs, parmi lesquels on remarquait, quant au thème qui nous occupe, la section Notes de Société, laquelle faisait écho des arrivées et des départs des solleriques, ainsi que des décès, naissances, mariages et autres informations relatives aux commerces ou à leur propriétaire. Le premier endroit où se rendaient les solleriques qui arrivaient ou partaient était la rédaction du journal pour annoncer leur arrivée.

Une autre section était celle des petites annonces commerciales, qui aidaient à compléter le réseau de clients ou fournisseurs. La rédaction du journal faisait l’intermédiaire quand un négociant voulait vendre son commerce, un jeune voulait en acheter un ou quand on cherchait de nouveaux employés. La majorité des solleriques étaient abonnés au journal Sóller , ils se maintenaient ainsi au courant de se qui se passait dans la vallée. La presse locale, et en particulier le Sóller a joué un rôle capital dans le maintien des relations entre la localité et ses émigrants. La majorité y était abonnée et le journal s’expédiait dans de nombreuses villes françaises, à Porto Rico, au Mexique, à Cuba et aux Etats-Unis.

La publicité du journal, jusque dans les années 40, provenait majoritairement des maisons 
d’expéditions et de vente de fruits et primeurs, ou de quelques auberges ou pensions en Catalogne ou en France. Les annonces étaient écrites normalement en français, mais elles diminuèrent à partir de 1936, quand les lois franquistes interdisaient l’expression en une autre langue qui ne soit l’espagnol.
Beaucoup de ceux qui rentraient pour se retirer à Sóller se trouvaient sans occupation, et ont crée un casino pour pouvoir passer les heures libres entre émigrants retraités. En 1887, ils ont fondé l’association récréative La Torre. Cette association fut impulsée par les émigrants revenus d’Amérique. En 1893, cette société s’est unifiée avec une autre société, el Circulo Recreativo et la nouvelle entité pris le nom de La Unión, aussi connue populairement par Sa Botigueta des Senyors .
En plus de l’envie de se réunir, les émigrants ont importé de l’étranger la pratique du sport. Ainsi, à la fin du XIXème siècle, en 1899, s’est fondée une autre société récréative, El Circulo Sollerense, connue aussi comme Es Centro o Es Xiclets. Entre les sociétaires, se trouvaient « les retraités de France, les industriels, les commerçants, les travailleurs et les jeunes gens qui voulaient faire du sport ». Ces sociétés ont contribué à maintenir et à diffuser l’influence des émigrants, de même qu’elles étaient une plateforme pour toutes sortes d’activités culturelles et sportives.

Les émigrants ont aussi contribué à l’implantation de la mode d’aller « prendre les aïgues » (aller nager). Entre les décennies 1910 et 1920 les émigrants, principalement de France, bâtirent sur la plage d’en Repic des cabanes de plage qui étaient encore en place jusque dans les années 70.
Les habitudes et la vie quotidienne se sont aussi vues influencées par les nouveautés qui venaient d’Europe ou d’Amérique. Par exemple, la première automobile privée de Sóller a été conduite par Jaume Morell Bac, quand il s’est retiré de son magasin de Verdun.

Beaucoup de commerçants scolarisaient leurs enfants là où ils tenaient leur commerce, ainsi, quand ils revenaient, ces enfants avaient un niveau scolaire plus élevé que les autres. Le français est devenu la seconde langue de la vallée. Les émigrants ont essayé de donner une bonne éducation à leurs enfants. Le chercheur Bartomeu Orell conclut que « il semble évident que les émigrants - plus alphabétisés que le reste de la population – avaient un intérêt spécial pour améliorer le niveau de formation de leurs enfants, et une partie des ressources économisées en Amérique, dans le sud de la France ou au nord de l’Afrique était destinée à assurer l’éducation des enfants, déjà dans ces pays ou une fois rentrés dans leur village d’origine à Majorque. »

Un excellent exemple est celui de Maria Mayol Colom qui a fait ses études en France à L’Université de Bordeaux. Elle revint à Sóller pendant la première guerre mondiale et créa le « Foment de Cultura de la Dona » pour l'émancipation et l'éducation des femmes, dont elle fut la présidente jusqu'au milieu des années 30. Elle brilla en plus par son activité littéraire et politique. D' idées républicaines, elle fut la première femme des Baléares à se présenter comme candidate aux élections générales de 1933.

Une fois rentrés, les émigrants voulaient démontrer leur progrès économique. Ils le faisaient de trois manières, la construction ou la restauration de grands casals, l'édification de panthéons familiaux au cimetière et les dons à la ville. Dans les deux premiers cas, les courants artistiques de l'époque ont eu beaucoup d'influence, ainsi que le lieu de provenance des émigrés. Le mouvement artistique qui s'adopta fut le modernisme. A Majorque, le modernisme débuta plus tard que dans le reste de l'Europe et d'Espagne. La majeure partie des oeuvres modernistes furent réalisées par des initiatives privées, surtout par la bourgeoisie, qui, malgré les difficultés, allait en s'enrichissant grâce à ses commerces. Sóller fut, après Palma, la localité majorquine où le modernisme eut le plus de diffusion.

Les contacts avec la France, Valence ou Barcelone, conjointement avec l'existence d'une classe bourgeoise liée au commerce et à l'industrie textile a favorisé l'enracinement du mouvement. Ainsi, entre 1890 et 1920, la ville s'est remplie d'édifices aux éléments modernistes, desquels on remarque surtout la façade de l'église paroissiale de San Bartolomé, la Banque de Sóller, Ca'n Prunera, la casa Magraner, entre autres. De petits éléments montrant la diffusion du modernisme furent placés sur beaucoup de maisons du centre urbain, comme par exemple des balustrades en fer forgé avec des motifs floraux et les éléments décoratifs géométriques ou floraux adossés à beaucoup de maisons. La canalisation des capitaux dans l'architecture et les arts s'est produite dans quatre secteurs.

En premier lieu, la construction de maisons uni familiales: les nouveaux agrandissements ont permis la construction de maisons neuves avec des éléments modernistes. En 1886, s'est prolongée le vial de La Creu jusque al carrer d'en Real; en 1891s'est rédigé un projet d'urbanisation du Celler, dans lequel s'ouvrirent les rues del Celler, Sant Jaume, Santa Teresa et Fortuny, et qui fut agrandit en 1911 et 1913 quand s'ouvrirent les rues Bisbe Colom, Rullan i Mir et San Ramón; en 1903 commença le projet de la rue Gran Via, qui finissait place d'Amérique; en 1911 le carrer des Cetre et en 1932 se projeta l'avinguda d'Asturies.

Un deuxième secteur fut celui de la construction d'hypogées et de tombes: l'une des démonstrations de richesses et d'ascension sociale se traduisit en la construction de tombes somptueuses pour se différencier du reste de la population. Ainsi, se sont construits hypogées, panthéons et niches. Une grande partie des émigrants voulait être enterrée à Sóller. Pour cela ils revenaient peu avant de mourir ou prenaient leurs dispositions pour le transfert de leur corps après leur mort. Le cimetière de Sóller est un bon exemple d'un cimetière de montagne, divisé en terrasses qui s'adaptent au terrain. Le modernisme est présent dans une bonne partie des panthéons et des sculptures où l'on reconnaît l'œuvre du sculpteur catalan Josep Llimona. Le français est une langue très présente dans beaucoup d'épitaphes du cimetière, où se répète le mot souvenir ou des phrases comme: « comme une fleur brisée au souffle de l'orage, la mort l'as ravi au printemps de ton age » .

En troisième lieu, les donations: une autre manière de montrer la différence sociale était les donations que faisaient les émigrants enrichis qui étaient revenus à Sóller.

Finalement, le quatrième secteur d'inversion fut à travers l'architecture religieuse et publique. Se sont construit deux œuvres remarquables de style moderniste sur des plans de l'architecte catalan Joaquim Rubió Bellver. D'un côté, la façade de l'église paroissiale, et de l'autre l'édifice del Banc de Sóller. Il y eut aussi un projet de construction d'une nouvelle mairie de style moderniste mais qui ne s'est jamais realisee. Sans oublier de mentionner la construction de la chapelle du monastère de Santa Maria del Olivar (1917), aussi moderniste.


Se sont aussi produit des changements dans la gastronomie, les épouses qui avaient émigré avec leurs maris, introduisirent à leur retour de nouvelles recettes apprises à Porto Rico ou en France, ainsi que de nouveaux ingrédients qu'elles introduisirent dans les plats traditionnels. Ainsi, des plats comme les bananes frites avec du riz blanc ou le canard à l'orange se convertirent en plats quotidiens dans les cuisines solleriques. En 1931, est publié un livre de cuisine avec des recettes de Majorque, mais aussi de France, d'Allemagne et d'Amérique. Le plus grand nombre d'exemplaires de ce livre s'est vendu en dehors de Majorque, principalement en France, certainement pour ne pas oublier les racines.

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